Comment l’Homme modifie l’équilibre du climat sur la Terre
Par Gary DagornPublié le 03 novembre 2021 à 06h57, modifié le 03 novembre 2021 à 15h04
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DécryptageEn 250 ans, la Terre s’est réchauffée à un rythme jamais vu dans sa longue histoire. Progressivement, son système climatique est passé d’un équilibre à un déséquilibre.
Cet article a été initialement publié le 15 août 2018, mais était devenu inaccessible depuis. Nous avons décidé de le republier à l'occasion des négociations climatiques de la COP 26.
Qu’est-ce qui réchauffe réellement la Terre ?
Depuis 1880 et les relevés systématiques de températures de surface, la température moyenne du globe s’est élevé de plus d’un degré Celsius.
Est-ce le Soleil ?
Le Soleil étant l’origine de quasi toute l’énergie reçue par la Terre, il a une influence certaine sur son climat. Il est donc tentant de lui attribuer la genèse du réchauffement climatique. Ce n’est pourtant pas ce que l’on constate. L’énergie solaire moyenne reçue varie légèrement (selon un cycle solaire d’environ onze ans) mais reste quasi stable. L’irradiance solaire a même légèrement baissé ces trente-cinq dernières années, alors que les températures n’ont fait qu’augmenter.
Est-ce l’utilisation humaine des terres ?
Les observations montrent de manière indiscutable que l’utilisation humaine des terres a augmenté légèrement l’albédo de la surface terrestre, c’est-à-dire la part de lumière qu’elle renvoie dans l’espace. Or, plus cette part est importante, moins la surface absorbe la chaleur du Soleil. Un changement compensé en partie par la modification du cycle de l’eau et la déforestation qui ont un effet réchauffant. Mais pas assez pour expliquer la hausse globale des températures.
Est-ce dû aux changements de l’orbite terrestre ?
Sur de très longs cycles, le fait que l’orbite terrestre nous amène périodiquement plus près ou plus loin du Soleil a un impact certain sur le climat. Mais le changement climatique est beaucoup trop rapide pour être expliqué par ces variations naturelles. Sur quelques centaines d’années seulement, l’orbite terrestre ne change quasi pas.
Est-ce les aérosols émis par l’homme ?
L’effet des aérosols, des particules solides en suspension dans l’air, sur la température globale est longtemps resté incertain. Ils peuvent faire baisser la température lorsqu’ils sont clairs et reflètent toute la lumière (comme les nitrates ou les sulfates), ou, au contraire, ils peuvent avoir un pouvoir réchauffant lorsqu’ils sont sombres et l’absorbent (comme le carbone noir). Au niveau mondial, les aérosols ont eu un effet refroidissant ayant contrebalancé la moitié de la hausse due aux gaz à effet de serre.
Ou bien la pollution à l’ozone ?
L’ozone contribue faiblement au réchauffement des températures de surface lorsqu’il est formé dans la troposphère par les émissions humaines de gaz à effet de serre et a tendance à refroidir très faiblement le climat lorsqu’il est naturellement présent dans les couches supérieures de l’atmosphère (stratosphère). Sa contribution finale est réelle mais reste mince.
Est-ce l’activité volcanique, dans ce cas ?
Les grosses éruptions volcaniques peuvent avoir un impact important, mais court, sur les températures du globe. Les aérosols expulsés massivement dans l’atmosphère par celles-ci réfléchissent la lumière du Soleil dans l’espace et ont un effet refroidissant. Il arrive donc que les températures moyennes chutent après une éruption majeure, mais ce n’est que passager.
Non, ce sont bien les gaz à effet de serre
Ces gaz, émis massivement par les activités humaines actuelles, ont le pouvoir d’absorber les rayons infrarouges renvoyés par la surface terrestre, piégeant la chaleur reçue du Soleil. Ils sont le principal facteur du réchauffement rapide du climat de notre planète.
Voici tous les facteurs humains combinés
La prise en compte de tous les facteurs d’influence d’origine humaine du climat correspond d’assez près à l’évolution observée des températures moyennes du globe depuis plus d’un siècle.
Et tous les facteurs naturels combinés
L’influence combinée du soleil, des éruptions volcaniques et des changements de l’orbite terrestre met clairement en évidence la contribution quasi nulle de mère nature dans le réchauffement actuel, trop rapide pour être d’origine naturelle.
Le réchauffement climatique est causé par les activités humaines
Les résultats jugés robustes des modèles et des observations satellites montrent que les facteurs naturels n’ont quasi aucune influence sur la période de 1980 à 2011. Les scientifiques jugent cependant probable que sur ces quinze dernières années, les facteurs naturels conjugués aient compensé pas loin de 30 % des effets réchauffants des activités humaines.
1880 -1881
Une façon de mesurer la manière dont les humains bousculent le climat est d’observer le déséquilibre énergétique de la Terre (DET), ou Earth Energy Imbalance dans la langue de Newton. L’idée est ici de s’intéresser à la façon dont les quantités d’énergie reçues et réémises par le système climatique de la planète Terre peuvent être perturbées et passer d’un équilibre à un déséquilibre.
Sur des échelles de temps très longues et en l’absence de perturbation, le climat terrestre trouve un équilibre entre l’énergie entrante (celle du Soleil) et l’énergie sortante (celle qui est renvoyée dans l’espace). C’est ce que l’on appelle la température d’équilibre :
si un objet reçoit plus d’énergie qu’il n’en perd, sa température augmente ;
sa température augmentant, l’objet va perdre davantage d’énergie ;
l’équilibre est atteint lorsque l’énergie que perd l’objet est exactement compensée par l’énergie qu’il reçoit.
Jusqu’alors seules deux forces étaient capables de modifier cet équilibre. La première est naturellement le Soleil, dont l’activité peut croître et décroître, faisant varier la quantité d’énergie que reçoit notre petite planète. La deuxième est le volcanisme. Les éruptions majeures, comme celle du mont Pinatubo (Philippines) en 1991, éjectent des dizaines de millions de tonnes de particules à très haute altitude qui, au gré des vents, viennent couvrir le globe entier en quelques semaines et réfléchissent la lumière du Soleil. En moyenne, les cinq plus grandes éruptions du XXe siècle ont refroidi le climat terrestre de 0,25 °C.
En effet, l’avènement de la machine à vapeur et, de facto, de l’industrie humaine dès la fin du XVIIIe siècle est venu bousculer cet équilibre, avec un ingrédient redoutable : les gaz à effet de serre, des composés capables d’absorber les rayons infrarouges et de retenir la chaleur dans le système terrestre et que les activités humaines vont rejeter de plus en plus au fur et à mesure des années et du développement économique mondial.
Comment l’homme perturbe l’équilibre énergétique de la Terre
Influence de différents facteurs sur l’équilibre du climat terrestre depuis 1750. Le flux d’énergie (appelé « forçage radiatif ») est exprimé en watt par mètre carré.
Survolez pour mettre en évidence les facteurs :
humains
naturels
1750 -2011
Bien sûr, toute l’énergie supplémentaire piégée par le système climatique de la planète doit bien être stockée quelque part. Mais où ? Voici les estimations actuelles :
Autrement dit, presque toute l’énergie solaire piégée sur Terre depuis 250 ans par les gaz à effet de serre émis par les humains a été absorbée par les océans, qui recouvrent 70,3 % de la surface terrestre. Une petite partie seulement l’a été par les terres émergées, l’atmosphère et les glaces (7 %). C’est pourtant cette faible part qui est responsable de presque l’intégralité du réchauffement mondial mesuré jusqu’à présent (+ 1 °C en 2017 par rapport aux températures moyennes de l’ère préindustrielle).
La formidable masse d’eau des océans les rendant extrêmement lents à chauffer, eux-mêmes ralentissent le réchauffement climatique, de par leur inertie importante. Si la Terre comportait davantage de terres émergées, le réchauffement climatique aurait été autrement plus rapide – et donc plus destructeur encore pour les écosystèmes. Ainsi, même si nous réduisions nos émissions de gaz à effet de serre brutalement, de façon à retrouver une concentration de CO2 similaire au niveau préindustriel, les eaux océaniques continueraient à lentement relâcher la chaleur emmagasinée.
La menace est d’autant plus réelle que le rythme auquel les océans absorbent le surplus d’énergie provoqué par les humains croît de façon spectaculaire et n’a jamais été aussi haut. Ceux-ci ont absorbé autant d’énergie entre 1997 et 2015 que depuis 1860, d’après une étude menée par Peter Glecker et son équipe et publiée dans Nature en janvier 2016. Ces travaux d’analyse, fondés sur plusieurs centaines de modèles climatiques, suggèrent pour la première fois que les couches les plus profondes de l’océan, celles situées à plus de 2 000 mètres de profondeur, au-delà des capacités de mesure des balises Argo qui parcourent les océans, se réchauffent également à grande vitesse. « Ces travaux montrent que les « signaux » du changement du climat s’intensifient avec le temps, et que davantage de ces “signaux” se trouvent dans les profondeurs de l’océan », selon le docteur Matt Palmer, océanographe au centre Hadley du service météorologique britannique (Met Office). « L’étude confirme que le réchauffement des océans a continué au rythme attendu, le “hiatus” n’est qu’un phénomène de surface. La Terre se réchauffe toujours, et les océans ont absorbé l’essentiel de cette chaleur. »
Les océans ont absorbé autant d’énergie en dix-huit ans que depuis 1860
Pourcentage de changement de la chaleur absorbée au niveau mondial par les océans entre 1860 et 2015. Calculé d’après la comparaison de modèles climatiques (CMIP5).
0 - 700 m
700 - 2000 m
+ 2000 m
En raison de la capacité des océans à stocker ce surplus d’énergie, ce qui agit comme un tampon, les températures moyennes de surface « ne sont pas un bon indicateur du réchauffement climatique sur ces échelles de temps », conclut Karina von Schuckmann. La question de savoir comment elle est absorbée et par quels composants est cruciale pour les scientifiques, car elle permet de beaucoup mieux comprendre comment va évoluer le climat dans les décennies à venir.
Méthodologie et données
Les données présentées dans le premier graphique sont issues de la simulation d’un modèle climatique, appelé « ModelE2 » et créé par le Goddard Institute for Space Studies de la NASA (GISS). Un modèle climatique est un programme complexe exécuté sur des superordinateurs pour simuler le climat terrestre et son évolution future. Les résultats de cette simulation ont été publiés par le GISS en 2012 dans le cadre d’une comparaison entre modèles climatiques (appelé CMIP5, ou Coupled Model Intercomparison Project, Phase five), qui a ensuite servi à écrire le cinquième rapport d’évaluation du GIEC publié en 2014. Les bandes entourant les courbes représentent l’intervalle de confiance à 95 %, c’est-à-dire que 95 % des simulations faites tombent dans cet intervalle.
Les données du second graphique proviennent d’un article publié en 2013 dans la revue Atmospheric Chemistry and Physics. Notre travail s’est inspiré de celui de Bloomberg, publié en 2015 (« What’s warming the world? »).